23/07/2012
SAINT LAURENT DU VAR: LORSQUE MADAME DEGL'INNOCENTI ÉVOQUAIT SES SOUVENIRS DE LA GUERRE 1939-1945
C’est avec beaucoup d’émotion que les Laurentins ont appris la disparition de Madame Marcelle Dégl’Innocenti, figure estimée à plus d’un titre de la vie sociale et associative de Saint Laurent du Var, à l’âge de 99 ans.
Ancienne commerçante, femme d'action elle avait créé l'Association des donneurs de sang de Saint-Laurent-du-Var et l'a présidée et animée pendant de nombreuses années jusqu'en 1998, sans ménager ses efforts et son dévouement.
Administrateur d'Arnault-Tzanck depuis sa création en 1970, elle fut aussi représentante de l'Association des paralysés de France et déléguée départementale de l'Education nationale en 1960 et honoraire en 1998.
Rappelons que Madame Degl’Innocenti a été conseillère municipale auprès de l’ancien maire Marc Moschetti de 1971 à 1977.
Son passé de résistante avait été évoqué dans le blog de Saint Laurent du Var-Histoire en 2009, pour lui rendre un dernier hommage nous publions à nouveau le témoignage de son action durant les années noires de la guerre 1939-1945.
TÉMOIGNAGE DE MADAME DEGL'INNOCENTI
Mme DEGL'INNOCENTI que l'on appelait aussi Mme VANDO, du prénom de son mari décédé en 1987 et avec qui elle avait célébré leurs noces d'or le 17 novembre 84, a aujourd'hui disparu après une retraite active et avoir été longtemps secrétaire chez trois huissiers de Cagnes-sur-Mer. A l'époque, son mari et elle habitaient au bas de l'avenue de la Libération, qui n'était encore que la départementale 209, une maison à un étage située face au jardin public devenu le square BENES et au monument aux morts qui ne devait être transféré avenue du 11 novembre qu'après la guerre. Mme DEGL'INNOCENTI aborde tout de suite le vif du sujet: " Je peux dire que Vando est entré dans la résistance à la demande de M. RAVET, alors Maire de St-Laurent. C'est lui et M. HEBERT qui l'ont contacté et il a tout de suite accepté. Pourtant, au début, il ne m'a rien dit ". Mme DEGL'INNOCENTI s'explique cette discrétion par le souci de son mari de ne pas mettre en péril la vie de sa femme, ni celle de son beau-père qui habitait avec le couple et ses deux enfants en bas-âge. Mais, très vite, Mme DEGL'INNOCENTI sut pratiquement tout de ce qu'elle avait déjà deviné des activités de Vando et, bientôt, elle s'y impliqua elle-même, directement. Elle poursuit son récit: " Au début, il a continué à exercer son métier, mais de plus en plus fréquemment ses absences se prolongèrent des journées et, parfois, des nuits entières. Pourtant, il fallait bien vivre». Mme DEGL'INNOCENTI ouvre alors une parenthèse pour souligner l'attitude exemplaire du Maire, M. RAVET, qui, connaissant leur situation et sachant (et pour cause) que les nouvelles occupations de Vando n'étaient pas rémunérées, fit toujours preuve, vis-à-vis des enfants du couple, d'une très généreuse sollicitude. Cela, Mme DEGL'INNOCENTI ne l'a jamais oublié !
Des souvenirs, elle en a beaucoup, certains très pénibles, même après cinquante ans. Ecoutons la en évoquer un qui concerne le Groupe Morgan, non sans qu'elle nous ait dit, au préalable, que " Georges FOATA c'est comme un frère pour moi! «.
" Même quand il travaillait, mon mari était toujours en tenue de ville, d'où ma surprise, un matin, de bonne heure, de le voir en bleu de travail et coiffé d'un béret basque. Vando, ancien chasseur alpin avait porté la Galette (c'est un des noms que les chasseurs alpins donnent familièrement à leur couvre-chef) mais je compris que son déguisement, d'ailleurs rudimentaire, avait une raison sérieuse. En effet, il me dit qu'il devait se rendre à Gattières avec un ami, chauffeur de taxi du quartier de la gare, affectueusement surnommé PEPINO, de son vrai nom Joseph BUTTELI, et qu'il reviendrait avant midi avec des ordres au sujet de la destination à donner aux armes qu'il avait provisoirement dissimulées dans le jardin, à l'arrière de la maison, sous un tas de feuilles". Mme DEGL'INNOCENTI se rappelle qu'il y avait, entre autres, des feuilles de fève. On sut, par la suite, que Vando, BUTTELI et aussi Ernest FRATTINI étaient allés chercher Marcel CAGNOL et Georges FOATA dans le maquis de Gattières - Carros. Ils devaient en redescendre tous ensemble, afin que Georges FOATA procède à une pré mobilisation et à une distribution d'armes. Mais, au retour, dénoncés par le patron d'un café de Gattières (lequel, après la libération et un procès en bonne et due forme, devait recevoir le juste châtiment alors réservé aux traîtres), ils tombèrent dans une embuscade tendue par un détachement allemand. Au cours de la fusillade, Joseph BUTTELI fut tué tandis que les Allemands perdaient 3 hommes (2 morts et 1 blessé). C'est cet accrochage sanglant qui devait entraîner de terribles représailles contre la population de Gattières. Mais tout cela, Mme DEGL'INNOCENTI ne le savait pas encore.
Pourtant, les heures passant et Vando ne revenant pas, elle commençait à s'inquiéter. Vers 17 ou 18 heures, elle sortit pour guetter son retour. A ce moment-là, elle vit plusieurs gendarmes allemands avec des chiens, accompagnés par René MAURE, le chef de la Gendarmerie de St-Laurent, qui lui fit discrètement signe de rentrer chez elle. C'est seulement à peu près une demi-heure plus tard qu'il vint la voir et lui apprit que quelque chose s'était passé à Gattières. Elle se mit alors à redouter le pire et, ce jour là, le pire faillit bien se produire!
Mme DEGL'INNOCENTI poursuit: " Vers 1 heure du matin, alors que je ne savais toujours pas si mon mari n'était pas mort, on frappe à la porte. J'ouvre et je me trouve en face de gendarmes allemands, sous les ordres d'un officier, qui m'écartent de leur passage et vont tout droit dans le jardin, exactement à l'emplacement où Vando avait caché les armes. A mon avis, il y avait eu dénonciation, car ils n'ont pas hésité un seul instant. Ce qu'ils ne savaient pas, heureusement, c'est qu'un voisin, il s'appelait M. ISAIA et avait eu du flair, avait pris l'initiative de déplacer les armes pour mieux les dissimuler; toujours dans le jardin, mais dans une cache aménagée sous une lapinière qui lui appartenait». Suivit alors, à l'intérieur de la maison, un très long interrogatoire, les Allemands voulant savoir pourquoi M. DEGL'INNOCENTI n'était pas chez lui, à cette heure de la nuit, où il était, ce qu'il faisait, etc. A quoi Mme DEGL'INNOCENTI se contenta de répondre obstinément qu'elle n'en savait rien - "car dit-elle (afin de rendre son ignorance plausible) - mon mari a quitté la maison après m'avoir battue".
Interrogé à son tour, le voisin providentiel dont la porte, au fond du couloir, s'ouvrait juste en face de celle des DEGL'INNOCENTI et qui, de ce fait, avait entendu la déclaration de Mme Vando, ne la démentit pas. Pas plus que le père de cette dernière, alors âgé de 75 ans et déjà très fatigué. A l'arrivée des allemands, il se trouvait dans sa chambre, mais il affirma avoir entendu les éclats de voix de son gendre et de sa fille, lors de leur scène de ménage. Mme DEGL'INNOCENTI se rappelle encore, avec une tendresse émue, que s'entendant intimer l'ordre de lever ses bras alors qu'il descendait les marches de l'escalier, son père ne put obtempérer qu'à moitié, occupé qu'il était, avec son autre main, à serrer la ceinture du pantalon qu'il avait enfilé à la hâte. En se remémorant ce détail, Mme DEGL'INNOCENTI esquisse un sourire mais, sur le moment ni son père ni elle ne trouvèrent cela drôle. D'autant moins drôle que les Allemands restèrent jusqu'à près de 3 heures du matin. Ensuite, pendant un mois, chaque fois à des heures différentes, ils revinrent, eux ou d'autres, posant toujours les mêmes questions: " avez-vous revu votre mari ? quand ? où est-il maintenant? que fait-il ? " etc. Jamais Mme DEGL'INNOCENTI ne s'écarta de sa première déclaration, ce dont un policier allemand essaya d'ailleurs, au moins une fois, de jouer en faisant valoir que si son mari avait eu, vis-à-vis d'elle, le comportement qu'elle disait, il n'y avait aucune raison pour qu'elle le protège. Finalement, lassés ou convaincus qu'elle leur avait dit la vérité et, en tout cas, qu'ils ne tireraient rien d'autre de leurs interrogatoires, ils cessèrent de lui imposer leurs visites.
Une autre fois, antérieurement à cet épisode, elle eut aussi très peur: à la demande de René MAURE et, bien entendu, avec l'accord de son mari, elle avait accepté d'acheminer du courrier clandestin entre Nice et St Laurent du Var et vice versa. Il s'agissait le plus souvent de tracts que d'autres se chargeaient ensuite de distribuer, parfois de plis fermés.
Pour les transporter, elle utilisait un stratagème assez simple mais efficace, en l'occurrence un landau qui était depuis longtemps dans la famille et avait la particularité (unique à St-Laurent-du-Var) d'être en osier tressé. La plupart du temps, elle ne connaissait pas la personne qui venait de Nice pour lui confier (ou prendre) le courrier, d'où, pour cette personne, jamais la même et qui ne la connaissait pas, non plus, l'intérêt du landau facilement repérable. "Ca marchait très bien, dit Mme DEGL'INNOCENTI. Périodiquement, j'allais me promener, mon bébé dans le landau,
l'aîné me tenant par la main, jusqu'à la passerelle pour piétons qui franchissait le Var entre l'actuelle rue de l'Ancien Pont et, côté niçois, le lieu-dit " la Digue des Français «. Au bout d'un moment, le messager, homme ou femme, s'approchait du landau et engageait la conversation avec moi sous prétexte de s'intéresser au bébé, en réalité pour glisser son courrier sous le drap ou la couverture". En règle générale, Mme DEGL'INNOCENTI n'avait pas à garder longtemps ce qu'on lui confiait mais, le cas échéant, elle le cachait tout simplement dans un des 3 tiroirs (ou, si c'était volumineux, des tracts par exemple, dans 2 ou 3 tiroirs) du buffet de sa salle à manger.
" Un jour, alors que ni mon mari, ni mon père n'étaient à la maison et que, justement, les 3 tiroirs étaient pleins, 2 policiers allemands sont venus. Ceux-là non plus n'ont pas hésité: ils sont allés directement dans la cuisine après m'avoir demandé si je cachais des armes ou des tracts. Naturellement, j'ai dit que non. Alors, toujours crans la cuisine, ils ont fouillé partout, ont vidé tous les tiroirs et ils ont même cherché dans notre cuisinière à bois et à charbon. Ensuite, ils se sont dirigés vers la chambre mais je leur ai demandé de ne pas faire de bruit car mes enfants dormaient, ce qui était vrai. Est-ce leur présence qui les a attendris ? Je n'en sais rien mais ils ne sont pas entrés dans la chambre. L'un d’eux m'a demandé ma parole d'honneur que je n'y cachais rien et j'ai pu la donner, puisque c'était le cas. Le plus extraordinaire c'est qu'une fois dans la salle à manger ils ont aussi regardé partout, sauf dans les tiroirs du buffet... la chance! "
Avant d'en arriver au terme de l'entretien, Mme DEGL'INNOCENTI évoque un dernier souvenir. Un jour-elle n'est plus sûre de la date-le chef MAURE vint la voir. A son grand regret et il était sincère, il avait ordre de confisquer le livret de famille de Vando, déchu par Vichy de sa nationalité française, " lui qui était si fier d'avoir été naturalisé! «.
Après la libération, rétabli dans tous ses droits, il aurait pu retrouver son bien, mais ni Mme DEGL 'INNOCENTI ni lui ne s'en préoccupèrent. Ce n'est qu'à la mort de son mari (en 1987, comme elle l'a déjà indiqué) que Mme DEGL'INNOCENTI en eut besoin pour l'Etat civil.
Elle s'adressa, bien sûr, à la Mairie et, grâce aux recherches ordonnées par le Maire, le livret de famille fut retrouvé.
Connaître le passé de Saint Laurent du Var grâce à « Saint Laurent du Var à travers l’Histoire » (Alandis-éditions Cannes), pour commander cet ouvrage illustré et dédicacé de 17 € : téléphoner au 04 93 24 86 55
« Saint-Laurent-du-Var à travers l’Histoire » ou quand le présent rejoint en images l'Histoire de Saint-Laurent-du-Var et sa fière devise: "DIGOU LI , QUÉ VENGOUN", (DIS LEUR QU'ILS VIENNENT), significative des « riches heures » de son passé.
Avant 1860, Saint-Laurent-du-Var était la première bourgade de France en Provence, carrefour historique avec le Comté de Nice. Ville construite entre mer et collines, elle s'étire face à Nice le long de la rive droite du Var, sur 7 kms.
Cité moderne, Saint-Laurent-du-Var n'en oublie pas pour autant ses racines qui font la fierté de ses habitants. Le témoignage le plus probant de cette pérennité du passé reste sans aucun doute le « Vieux-Village », avec ses rues pittoresques et son église romane datant du XI e siècle.
Lieu de transit et de passage commandant la traversée du Var, fleuve alpin particulièrement capricieux, Saint-Laurent-du-Var a subi les aléas de cette situation géographique et stratégique singulière qui a profondément marqué son destin.
Les inondations, les invasions, les épidémies, les guerres ont rythmé au long des siècles les étapes successives de la formation de Saint-Laurent-du-Var.
Grâce à de nouveaux documents et à de nombreuses illustrations inédites, Edmond Rossi, auteur de « Saint Laurent, Porte de France » et de différents ouvrages sur le passé de la région, nous entraîne à la découverte de l’Histoire passionnante de Saint-Laurent-du-Var.
Connaître le passé de la région des Alpes Maritimes ?
Cliquez sur http://pays-d-azur.hautetfort.com
09:23 Publié dans DECOUVERTE DU PASSE, HISTOIRE, MEMOIRE | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : histoire
Les commentaires sont fermés.