sperada

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

27/06/2011

SAINT LAURENT DU VAR SOUS LES BOMBES, PAUL BAILET TÉMOIGNE

 

SAINT LAURENT DU VAR SOUS LES BOMBES LA GARE.jpg

 

Paul Bailet n'est plus de ce monde, mais sa fille Laurette a recueilli le petit journal de guerre dans lequel ce Laurentin a soigneusement noté jour après jour les alertes et les 23 bombardements qui ont frappé Saint-Laurent, où de nombreux civils laurentins ont été tués.

 « Six août 1944 : le village est aux trois-quarts démoli. Il y a au moins cinq morts et plusieurs blessés. La toiture et les plafonds de notre maison sont démolis. » Ce jour-là, « alors que la fin de l'alerte a été sonnée, de nombreux avions surgissent à nouveau. De nombreuses maisons sont démolies, un train est touché, on compte une cinquantaine de morts et plus de cent blessés. Le pont, lui, n'a reçu que quatre bombes ! », écrit Paul Bailet.

Ce bombardement, le plus meurtrier de la guerre à Saint-Laurent, a fait quarante-cinq morts, dont dix Laurentins, autant de noms égrenés sur une stèle près de l'église du vieux-village.

Mais à côté, une autre stèle rappelle trois autres bombardements meurtriers : trois Laurentins tués le 18 décembre 1943, cinq le 2 août 1944 et sept le 6 août 1944.

Le journal de Paul Bailet commence le 23 novembre 1943.

« À 5 h du matin, réveil au bruit de la DCA (Défense anti-aérienne) qui tire à obus traçants. Joli feu d'artifice. Les avions, pris dans le faisceau des projecteurs, lâchent leurs bombes sur l'hippodrome (rive gauche du Var, à l’emplacement de l’actuel aéroport ). Nous sommes allés nous réfugier dans la grotte du vallon de Janos. »

Cinq jours après, « la moitié des vitres de Saint-Laurent sont cassées et des plafonds lézardés : une bombe non explosée à l'hippodrome a finalement éclaté, faisant sauter un dépôt de munitions dans les petites tribunes. »

En janvier 1944, Paul Bailet note quasiment tous les jours au moins une alerte, mais un seul bombardement à Saint-Laurent le 2 janvier, sur les ponts.

« Bien souvent, les avions sont passés bien avant l'alerte », regrette-t-il.

Le12 avril, « des bombardements touchent à nouveau le pont, faisant sept blessés. »

Le 5 juin, « à 9 h 45, alerte. Vingt-six bombardiers lâchent leurs bombes. Le pont est à nouveau touché, ainsi que quelques maisons, mais sans victime ». Le 8 juin à 10 h 10, scénario similaire.

Peu avant le bombardement du 6 août, celui du 2 août a laissé un sinistre souvenir : « A 9 h 30, alerte. Huit bombardiers passent. Dix minutes après, une nouvelle vague lâche ses bombes. Le village est touché. Tout le bas de la rue Desjobert est démoli, ainsi que derrière le dispensaire, jusqu'à la mairie qui a elle aussi souffert. On compte 5 morts et une douzaine de blessés dans Saint-Laurent. »

Le 25 août en revanche, «ça commence à sentir bon: les Allemands foutent le camp ».

Le lendemain « vers 18h, la flotte ouvre le feu et quelques obus tombent sur St-Laurent ».

Le 27 août, « vers 14 h, on entend les cloches sonner. Le drapeau français flotte sur le clocher ! Mais ce n'est qu'une fausse joie : les Alliés ne sont qu'à Cagnes. En fin d'après-midi, une batterie allemande ouvre le feu sur Saint-Laurent. Pauvre village, qu'est-ce qu'il prend ! »

Le 28 août, « au petit jour, on sort des abris. Le pont de bois des Iscles est en feu. Les Boches, en reculant, font tout sauter. Vers midi, on voit passer les premières voitures alliées ».

Le 29 août, « la joie se lit sur tous les visages. Quoique, à Saint-Laurent, la joie soit moins vive : le village a beaucoup reçu ». Une citation du village pour la Croix de Guerre avec Étoile de Bronze délivrée le 11 novembre 1948 rappelle que Saint-Laurent, détruit à 40 %, a subi 23 bombardements qui ont fait soixante-dix morts et vingt-trois blessés et détruit 103 maisons tandis que 782 étaient endommagées.

D’après l’article de Laurent Quilici (Nice Matin du 26 mai 2011)

20/06/2011

TÉMOIGNAGES DE VOYAGEURS TRAVERSANT LE VAR AU XVIIIème SIÈCLE

 

32 DILIGENCE A L'ARRET AVANT LA TRAVERSEE DU VAR.jpg

 

Rien ne vaut le récit des contemporains pour décrire la traversée du Var au XVIIIe siècle. Le romancier et médecin écossais Tobie Smollett se rendait à Nice en 1763, espérant trouver dans la douceur du climat une amélioration à une santé éprouvée : « Au village de Saint Laurent, fameux par ses vins muscats, écrit-il à un ami, il y a une équipe de passeurs toujours prêts à guider les voyageurs dans le passage de la rivière. Six de ces hommes, les pantalons retroussés jusqu’à la ceinture avec de longues perches, en main, prirent soin de notre voiture et par mille détours nous conduisirent sains et saufs à l’autre bord.

A dire vrai, cela n’eût pas été nécessaire, mais c’est pour les gens du pays une sorte de revenant bon, et je n’aurais pas voulu courir un risque quelconque, si faible, qu’il pût être, pour le plaisir d’épargner la demi-couronne dont je rémunérais la peine de ces baves gens. Si vous ne gratifiez pas dune pareille somme les visiteurs de la douane de Saint Laurent, ils fouilleront vos malles de fond en comble et mettront tous vos effets sens dessus-dessous. Et ici, une fois pour toutes, je voudrais avertir les voyageurs qui n’ont l’habitude de ne consulter que leur convenance ou leur intérêt, d’être très prodigues de leur argent envers toutes ces sortes de gens, je leur conseillerais même de se laisser un peu écorcher par les aubergistes rencontrés sur leur route, à moins que l’abus ne soit vraiment trop évident. Car si vous vous mettez à discuter avec eux, vous aurez des ennuis à n’en plus finir et vous vous ferez du mauvais sang pour rien. » Depuis les prix imposés ont du bon ! Smollett poursuit :

« Le Var se jette dans la Méditerranée un peu au-dessous de Saint-Laurent, à environ quatre lieues de Nice, il n'existe malheureusement pas de pont en bois, ce serait plus sûr et beaucoup plus agréable.  L'existence de la frontière avec les états sardes crée une situation particulière. Sans doute pour éviter les risques d'invasion d'un bord à l'autre du Var, le passage du fleuve à gué ou par bac est préféré à la construction de ponts. »

Les points de traversée connus sont à cette époque: Saint-Laurent, Gattières, Le Broc et Bonson.

Une douzaine d’années plus tard, le mathématicien suisse Sulzer suit le même itinéraire : « En sortant de Saint Laurent, on rentre dans le lit du Var qui est très large à cet endroit et prouve suffisamment l’impétuosité des crues de ce fleuve. En ce moment, à peine le sixième du lit était couvert d’eau et ce peu d’eau, divisé en plusieurs bras, avec rapidité. A Saint Laurent, des hommes robustes sont chargés de transporter les voyageurs à travers le fleuve. Ces hommes doivent savoir à quelle époque il est possible de traverser le fleuve. On me donna quatre de ces hommes pour ma traversée qui n’était pas dangereuse, l’eau étant très basse, en d’autres temps, on en donnait beaucoup plus. L’un précédait en éclaireur en montrant au postillon les  endroits les plus guéables et trois restaient avec la chaise de poste pour la tenir, afin que le torrent ne la renverse pas. Dans quelques endroits,  l’eau montait jusqu’à l’essieu des roues. Cet accompagnement me coûta quatre livres, quand l’eau est plus forte c’est beaucoup plus coûteux ».

Voici enfin le témoignage de l’abbé Jean-Pierre Papon extrait de son «Voyage de Provence » (1780).

« Le Var est très rapide. Il entraîne le gravier de dessous les pieds et, en été, quand il y a des orages, il grossit  quelquefois prodigieusement dans l'espace de deux heures, à cause des torrents qui tombent des montagnes. La facilité avec laquelle il change de lit d'un jour à l'autre, et souvent plusieurs fois  dans le même jour fait que les étrangers ne doivent pas s’exposer à passer le Var sans avoir des gueyeurs qu'on prend à Saint Laurent du Var quand on vient de  Provence, ou sur le bord opposé quand on vient de Nice.

 Si l'on ne passe ni en voiture, ni à cheval, on s'assied sur l'épaule de deux hommes, qui se tiennent serrés l'un contre l'autre, en prenant réciproquement avec la main le haut de leur veste au-dessus du cou, de manière que l'un pose son bras droit sur le gauche de l'autre , il faut avoir soin de ne pas regarder l'eau : elle est si rapide que la tête tournerait et l'on risquerait de tomber.

A Antibes, on prend un billet du commandant pour sortir de  France, sans quoi, l’on est obligé de rétrograder quand on est à Saint-Laurent.

Rien n’est plus varié que les pierres du Var. Outre les calcaires et les cailloux, on y trouve des morceaux de beau granit, du grès, et une pierre grise veinée de spath. Ces différentes pierres sont tout autant de preuves de la diversité de torrents et de rivières qui se jettent dans le Var. »

A la lumière de ce témoignage réaliste une mise au point historique s’impose, à propos des représentations contemporaines du « gueyeur ».

Le gueyeur statufié en 2000 par Suzan Ledon et Nicole Hennion, qui orne le rond-point au croisement de la rue de l’Ancien Pont et de l’avenue du 11 novembre, restitue-t-il l’image authentique de ces portefaix, chargés jadis d’assurer la traversée du gué du Var, tout comme emblème du « Comité de Sauvegarde du Vieux Village » ? Rien n’est moins sûr !

Si l’on fait foi à ce document d’époque, il semble que le transport des personnes montées à califourchon sur le dos du gueyeur ne relève nullement de la vérité historique, conforme aux règles morales strictes de cette corporation,

Il fallait donc bien la présence de deux gueyeurs pour qu’une personne puisse être chargée et transportée d’une rive à l’autre du Var.

Ce procédé, gage de sécurité évitait d’autre part tout contact charnel avec les porteurs, ceci dans le respect de l’éthique de l’époque.

Ce n'est qu'après la révolution et l'annexion en 1792 du Comté de Nice à la France que le premier pont sera édifié à Saint-Laurent.

 

D’après le livre« Un Peu d’Histoire de Saint Laurent du Var » (Editions Sutton) pour commander cet ouvrage illustré et dédicacé de 22 € : téléphoner au 04 93 24 86 55

Un Peu d’Histoire… évoque quelques moments du passé tumultueux de Saint Laurent du Var. De l’Antiquité à nos jours ces 70 chroniques illustrées permettent un survol varié propre à éclairer l’histoire de la région bien au-delà de celle d’un simple village provençal placé à l’embouchure du Var.

Avant 1860, Saint-Laurent-du-Var était la première bourgade de France en Provence, carrefour historique avec le comté de Nice.

Aujourd’hui ville construite entre mer et collines, elle s'étire face à Nice le long de la rive droite du Var. Cité moderne, elle n'en oublie pas pour autant ses racines qui font la fierté de ses habitants. Le témoignage le plus probant de cette pérennité du passé reste sans aucun doute le Vieux-Village, avec ses rues pittoresques et son église romane.

Grâce à ces chroniques, Edmond Rossi nous entraîne à la découverte de l’Histoire passionnante de Saint-Laurent-du-Var.

Edmond Rossi est depuis son plus jeune âge passionné par l’histoire du Pays d’Azur.

Auteur de nombreux ouvrages, il présente régulièrement des chroniques historiques dans le quotidien Nice Matin et sur les ondes Radio France Bleu Azur.

 

Connaître le passé de la région des Alpes Maritimes ?

 Cliquez sur http://pays-d-azur.hautetfort.com

13/06/2011

SAINT LAURENT DU VAR DE 1939 A 1945, LES BOMBARDEMENTS

SAINT LAURENT DU VAR SOUS LES BOMBES (15).jpg

Dans la revue Lou Sourgentin n°102 (mai - juin 1992), Raoul Nathiez évoque quelles avaient été ses pensées lors du bombardement du 18 décembre 1943 :

«Ils ont bombardé le Pont du Var (..) C'est normal. C'est stratégique (..) Il n'y a pas d'habitations. Il risque moins d'y avoir de victimes ».

Il est vrai que l'Ouest de Nice n'était pas une zone très développée alors mais Nathiez ne se doutait pas que l'autre rive allait être meurtrie par ces bombardements. Sa seule crainte était que le pont soit coupé car cela risquait de rendre le ravitaillement à Nice encore plus difficile.

Le principal but des avions alliés était en effet de détruire les ponts situés sur le Var. Ils étaient peu nombreux près du littoral. A l'embouchure du fleuve se trouvait le pont Chauve. Sa construction avait été approuvée par le Conseil général lors de sa session de mai 1935. Lors de la séance du 4 novembre 1938 du Conseil Général, le maire de Nice, Jean Médecin, ne cache pas son admiration du futur pont :

«La nature a fort bien fait les choses à l'embouchure du Var, il s'agit de ne pas les gâcher. Ce qui fera la beauté de cet ouvrage, c'est qu'il sera léger, aérien ; ce sera une dentelle qui se profilera sur la mer. »

Composé de neuf arches de 34m50 chacune, d'une longueur de 371m, le pont était situé à 6m30 au-dessus du lit du Var. Les travaux devaient durer deux ans, à partir de 1938, afin que le pont soit prêt pour accueillir le congrès eucharistique international prévu à Nice dans les premiers jours de septembre 1940. L'ampleur de cette réunion devait être gigantesque puisque Mgr Rémond, évêque de Nice, avait demandé au Pape d'y venir. Or, depuis 1870, chaque Pape, une fois élu, ne quittait plus le Vatican. Ce congrès s'annonçait comme exceptionnel.

Des travaux visant à améliorer les transports devaient donc être entrepris pour recevoir des centaines de milliers, voire un million de fidèles. Le pont de la RN7 qui était la seule entrée à l'Ouest de Nice risquait d'être insuffisant.

Malheureusement les travaux de construction durent être arrêtés à plusieurs reprises. Le 3 décembre 1937,"Le Petit Niçois" rapporte qu'ils sont suspendus en raison de la question de l’aéroport de Nice. Les travaux recommencèrent le 10 juillet 1939, s'arrêtèrent de mai en août 1940. Mais, à cause du manque de matériaux et des crues nombreuses, les délais de livraison s'allongèrent.

Le 1« novembre 1941, Charles Chauve, l'ingénieur en chef des ponts et chaussées, note que «le coulage des voûtes est très avancé et pourra vraisemblablement être achevé en janvier 1942.» Le pont ne fut livré qu'en décembre 1943, l'essentiel des travaux étant terminé. Cette «dentelle » était faite de béton armé. Large de 25m50, elle était composée de deux chaussées de neuf mètres séparées par un chapelet de refuges axiaux de 1m50 et de 2 trottoirs de cinq mètres. Une piste cyclable de 2m était prévue dans le trottoir aval. Mais, il manquait la rampe d'accès du côté niçois. D'après les témoignages, le pont ne fut utilisé que quelques jours en juin 1944, avant d'être détruit.

Six cents mètres plus loin, se trouvaient le pont routier avec la voie des tramways et le pont SNCF. Il était surveillé par de nombreux policiers. Au niveau de la Digue des Français, on trouvait une passerelle en bois, une autre au niveau du quartier La Baraque. Ces passerelles avaient été construites en prévision d'une évacuation massive de la population niçoise. Leur rôle serait ensuite de suppléer les ponts après leur destruction. En remontant encore plus loin, on trouvait le pont de la Manda de la ligne de Grasse des Chemins de fer de la Provence, ainsi que le pont routier Charles Albert. Néanmoins, la distance séparant les ponts de St Laurent avec le pont de la Manda est assez importante. Rien que la destruction des premiers désorganiserait le ravitaillement de la région de façon significative.

De nombreuses vagues de bombardiers ont donc descendu ou remonté la vallée du Var pour tenter de détruire tous ces points de franchissement. Après leur destruction partielle ou totale, des passerelles ont été construites pour permettre le ravitaillement et les transports vers la région niçoise. Elles ont également été des cibles pour les alliés. Après le débarquement de Provence, il fallait empêcher d'éventuels renforts allemands venus d'Italie de franchir le fleuve. A la fin du mois d'août 1944, plus aucun pont n'était en état de permettre son franchissement, chacun ayant été bombardé plusieurs fois.

Les laurentins qui ont connu les bombardements se souviennent qu'ils avaient lieu souvent vers midi. La raison supposée était une meilleure perception d'avion des cibles à cause de l'absence d'ombres portées. Toutefois, les bombardements survenaient en fait en matinée (entre 10h et midi) et, ou en début de soirée (entre 18 et 19h).

Durant les premiers mois, les attaques aériennes sont épisodiques. Durant les mois de novembre 1943 et juin 1944, deux bombardements à quelques jours d'intervalle ont lieu.

Le premier bombardement de Saint-Laurent-du-Var a lieu le 14 novembre 1943. Ce sont les ponts du Var qui sont visés par les forces alliées. Cela correspond approximativement avec l'arrivée des soldats allemands. Pourtant il n'est pas possible d'établir un lien de cause à effet. Deux jours plus tard, le 16 novembre, le passage d'un avion est détecté à 4h50. Dix minutes plus tard, ont lieu les premières explosions. Le signal d'alerte est reçu à 5h35. Vingt minutes plus tard, les sirènes furent actionnées.

Le bombardement du 18 décembre 1943 endommage le pont routier. Il tue trois personnes et en blesse deux autres. Le 2 janvier, deux bombes tombent sur le pont SNCF. Les communications ferroviaires sont interrompues pour une durée indéterminée. Un laurentin est légèrement blessé.

La plupart du temps, la ville ne subit qu'une attaque par mois. St Laurent bénéficie même d'une accalmie du 2 janvier au 12 avril 1944. Durant cette période, la ville ne fut pas bombardée mais les alertes ne cessèrent pas.

Le 12 avril 1944, vers 13h50, une vague de trente appareils lâche des bombes sur le pont SNCF qui est touché en huit endroits. La voie ferrée étant abîmée, le trafic est interrompu. Une maison est détruite à St Laurent. Une quinzaine de bombes sont tombées près des autorités d'occupation mais il est impossible de savoir s'il a des victimes.

Le 26 mai, Saint-Laurent-du-Var connaît son bombardement le plus meurtrier. Le « Petit Niçois » des samedi 27 et dimanche 28 mai 1944 relate l'événement :

« DANS LA BANLIEUE NICOISE

Plusieurs wagons d'un train de voyageurs sont broyés par des éclats de bombes.

La première alerte, à 9h12, devait être suivie du bombardement d'une commune de la périphérie niçoise.

A ce moment-là, sur la voie ferrée qui longe la commune, un train se dirigeait vers Nice. Au signal d'alerte, le convoi s'immobilisa et même, faisant machine arrière, alla se garer à 450 mètres environ de la gare de la commune. Le signal de fin d'alerte retentit à 10h17. Aussitôt, le train se remit en marche. Il n'avait pas roulé sur 200 mètres qu'il fut entouré de bombes...

A ce moment, en effet, une deuxième alerte avait suivi immédiatement et environ 80 bombes lancées par les avions anglo-américains tombèrent sur la commune, arrosant tout le quartier situé autour de la voie ferrée.

Le convoi, haché littéralement par les éclats des projectiles, stoppa aussitôt. D'immenses cris de douleur s'élevèrent des wagons : la mort, la souffrance étaient entrées avec le passage des oiseaux de mort.

Les équipes de la Défense Passive, sous les ordres de M Rousselet, la gendarmerie, sous les ordres du maréchal des logis chef Maure, ainsi que de nombreux soldats de l'armée d'occupation, s'empressèrent immédiatement auprès du convoi tragique. Vingt-six morts et plus de cent blessés furent retirés des wagons.

Signalons que les sacs postaux purent être dégagés et expédiés à Nice. »

Les dégâts touchaient aussi les bâtiments voisins. Le journal témoigne de la violence du bombardement qui a notamment déraciné un platane et crevé les conduites d'eau. La situation de la ville était catastrophique car en plus des débris et des décombres, elle n'avait plus de gaz, d'électricité et d'eau. C'est la vision apocalyptique que rapporte « Le Petit Niçois » des samedi 27 et dimanche 28 mai 1944 :

« Le spectacle offert par certaines grandes artères était désolant. Ici les éclats ont criblé les façades, dépouillé les arbres dont les feuilles jonchent la route. Là, un platane a été déraciné et s'est abattu en travers de la chaussée ; plus loin, de larges entonnoirs se creusent dans une propriété. Les conduites d'eau, crevées, laissent échapper un liquide boueux qui traneforme rapidement la route en rivière.

Un grand immeuble, la façade enfoncée, laisse voir ses compartiments de béton et de pierre. Un studio de cinéma a été presque entièrement soufflé. Et partout on marche sur des débris de verres, de plâtras, des cailloux, des morceaux de bois que le souffle des bombes a éparpillé sur une immense étendue.

Le maire de la commune sinistrée devait prendre toutes les dispositions pour l'organisation des différents services et secours. Le téléphone, coupé, isolait la commune qui, par ailleurs, était sans électricité, sans gaz et sans eau. (...) »

Il y eut plus de 40 personnes tuées et une cinquantaine de blessés. Onze blessés succombèrent des suites de leurs blessures. Dans une lettre adressée au sous-préfet de Grasse le 22 juillet, Louis Ravet indiquait que ce bombardement avait fait 41 morts, 58 blessés et que onze personnes étaient décédées dans les hôpitaux. C'est évidemment le pire accident qui pouvait arriver. Les conducteurs des trains avaient l'habitude de s'arrêter lors des alertes. Mais le train repartit dès la fin de l'alerte alors qu'une nouvelle commençait. Il n'eut pas le temps de s'éloigner du pont du Var. C'était ce dernier qui était visé mais le train était trop avancé pour espérer éviter les bombes. Des voitures immobilisées à proximité furent également touchées.

Des laurentins avaient déjà été tués par des bombardements mais l'ampleur de ce désastre était sans précédent pour la commune. Mme Mathieu se rappelle qu'une femme avait rassemblé dans une valise les restes de son époux tué par ce bombardement. Une des plaques apposées à côté de l'Eglise du vieux village mentionne l'identité, le sexe et la ville d'origine des victimes. La plupart venaient des villes du département. La moitié venait de Nice ou de St Laurent (onze pour la première et dix pour la seconde). Parmi les victimes, on compte 32 hommes et 11 femmes ainsi que deux personnes inconnues.

TABLEAU DES VICTIMES DU BOMBARDEMENT DU 26 MAI 1944
(d'après la plaque apposée à côté de l'Eglise du Vieux Village)

Ville d'origine Hommes Femmes      

Antibes          3                 2       

Juan les Pins          1                 1

Beausoleil          1       

Nice               8                 3

La Bocca          1       

St Laurent          7                 3

Cagnes sur Mer1 

Vichy              1       

Cannes          6       

Villeneuve Loubet          1       

Cros de Cagnes          2        1       

Inconnue                 2

Fréjus                     1       

TOTAL          32               11

Ce jour est certainement celui qui a le plus marqué les esprits laurentins en raison du nombre de victimes très élevé. Dans ses délibérations du 6 juin 1944, le conseil municipal revient sur ce tragique bombardement :

« M le Maire expose au Conseil que les obsèques des victimes du bombardement du 26 mai 1944 se montent à la somme de frs : 32689. Il propose vu les circonstances que la commune prenne ces frais en charge de façon à venir en aide aux familles des victimes. D'ailleurs une somme de mille francs par victime sera remboursée par l'Etat (..) Le Conseil Municipal sûr d'être l'interprète des sentiments de toute la population de Saint-Laurent-du-Var déplore les ravages causés dans la commune par le cinquième bombardement, plus violent que les précédents, dont elle a été l'objet le 26 mai dernier.

Profondément ému, il prend part de tout cœur à la douleur des sinistrés qu'aucun terme ne saurait qualifier, exprime ses vives condoléances et ses sentiments de douloureuse sympathie à toutes les familles si cruellement atteintes.

Il témoigne sa reconnaissance et ses remerciements les plus chaleureux à toutes les organisations publiques et privées et à tous les sauveteurs qui se sont dépensés sans compter pour les soins et l'évacuation rapide des blessés pour le relèvement et l'identification et les obsèques des victimes.

Il remercie les autorités religieuses et civiles qui ont apporté à la population le réconfort moral et matériel.

En ces heures tragiques, il fait un pressant appel à l'union et à la solidarité de tous pour que chacun s'efforce d'atténuer dans toute la mesure du possible les souffrances des sinistrés. Il invite les habitants à les accueillir soit par le resserrement familial, soit en offrant les locaux vides. »

Les forces alliées continuèrent leurs bombardements des ponts. Le 4 juin, de 10h à 12h20, le pont SNCF fut touché. Des bombes tombèrent sur des maisons les détruisant ou les endommageant. Heureusement elles avaient été déjà évacuées. Il n'y eut donc pas de victimes. Quelques jours plus tard, le 7 juin, quatre bombes tombaient sur le même pont.

Mais, encore une fois, aucune victime n'était à déplorer.

C'est encore ce pont qui est visé et touché le 12 juillet 1944. La voie ferrée, entre la gare et le pont, fut endommagée par une bombe. Les dégâts étaient notables car on pensait qu'il faudrait deux à trois jours de travaux pour remettre en état la voie. Deux bombes tombèrent dans le lit du Var.

Le journal relate aussi les travaux des secours qui permirent de dégager des laurentins des décombres :

« Cependant, des hommes courageux dès les premières explosions, s'étaient élancés pour aller secourir les blessés. Parmi eux, nous citerons le curé de la commune, qui découvrit, non loin de son presbytère, une femme enterrée jusqu'au cou sous les décombres de sa maison. Le prêtre organisa les secours immédiats, et, sous le bombardement qui continuait, on put dégager la malheureuse femme, son mari et leurs deux enfants, âgés de 5 et 12 ans. Il s'agit de M et Mme Spezial.

Dans l'après-midi, des équipes de sauveteurs réussirent à dégager un ouvrier, M Honoré Roux, 50 ans, dont les cris avaient été entendus. Cet homme était resté plus de huit heures enterré vivant quand on le sortit de son affreuse position. Le malheureux avait subi une forte commotion et portait diverses contusions, mais heureusement, pas de blessures graves. M Honoré Roux avait marié sa fille la veille et il devait aller rejoindre ses enfants à la campagne quand le bombardement se produisit. »

D'autres personnes eurent moins de chance. Les bombes tuèrent des laurentines qui étaient pourtant réfugiés dans un abri. Le journal évoque ce drame :

« Cinq personnes volatilisées dans leur abri

Mais une bien triste nouvelle s'était rapidement répandue dans cette malheureuse localité, dix fois éprouvée déjà par les bombardements. Cinq personnes ont été tuées : Mme Tigani, Mme Blardone, Mme Oggero, Mme Baruffi et la fille de cette dernière âgée de 15 ans. Un vaste entonnoir se creusait à l'endroit où les malheureuses avaient cherché à sauver leur vie.

On ne retrouva que des débris de chair que l'on entassa dans une brouette. Une voisine recueillit un morceau de toile à carreaux bleus arraché au tablier de Mme Baruffi. »

Etant donné l'atrocité de l'explosion, deux hypothèses sont possibles : soit la bombe était très grosse, soit l'abri n'était pas très efficace.

Il est surprenant que «Le Petit Niçois» ne mentionne jamais le nom de St Laurent. Il subissait peut-être une censure. C'est la seule explication que l'on peut avancer. C'est d'autant plus étonnant qu'en général les noms des villes étaient indiqués.

Le lendemain du 2 août, trois groupes d'avions volant à 1000 mètres d'altitude attaquent en piquet différents points. La ville subit des bombardements à 10h30 et 18h30. Le pont du Var est atteint, le pont en bois reliant les Pugets à St Isidore, touché en 2 endroits, est inutilisable. La DCA de Montaleigne était aussi visée mais on ne signala pas de dégâts au village, ni de victimes. Le pont de la Manda fut détruit.

Le 4 août, pour la troisième journée consécutive'', les alliés tentent de détruire les ponts franchissant le Var. Entre 9h52 et 11h35, deux groupes d'avions lâchent quinze bombes sur le pont ferroviaire. Le tablier de celui-ci est touché et s'est affaissé sur un mètre du côté St Laurent et est ébréché du côté Nice. Le trafic est interrompu. Le Pont du Var est également touché en deux endroits mais les dégâts sont peu importants. Ce bombardement n'endommagea pas beaucoup d'immeubles et ne fit aucune victime.

Le 6 août 1944, les dégâts furent très nombreux. Dans « Le Petit Niçois » du 8 août 1944, Louis Ravet évoquait ce bombardement :

« C'était un peu avant 19 heures quand, pour la deuxième fois de la journée, l'alerte fut donnée. Tandis que, sans affolement, chacun prenait le chemin des abris, une pluie de bombes s'abattait sur le village rasant en quelques secondes des maisons entières, occasionnant des dégâts irréparables. » (...)

Le journal indiquait aussi la venue de personnalités venues constater l'ampleur du drame :

« Sur les lieux, M Piérangeli, sous-préfet de Grasse, apportait au maire de la commune, ainsi qu'aux habitants, des paroles de réconfort. II était accompagné du commandant de gendarmerie Colombani, chef de la compagnie des A-M ; du lieutenant Escourrou, commandant celle de Cannes ; de M Frotiée, chef du Secours National, ainsi que des fonctionnaires des Ponts et Chaussées. La Milice fut également une des premières sur les lieux, en compagnie des jeunes des Equipes nationales, et son action ne se ralentit pas un seul instant. »

Des bombes endommagèrent les ponts SNCF et Chauve ainsi que la passerelle en bois qui fut coupée sur une longueur de quinze mètres. Les bombes rendirent la voie ferrée inutilisable. Les avions visaient également les batteries de DCA situées au nord de la ville. Selon « Le Petit Niçois », 54 avions ont largué 220 bombes. Dans son rapport en date du 9 Août 1944, le lieutenant Escourrou évoque 3 vagues de bombardiers lourds de 20 à 25 appareils chacune, volant à une altitude de 3500 mètres. Ce bombardement a atteint la ville en plein cœur. Escourou note que « l'agglomération de. Saint-Laurent-du-Var, rassemblée de part et d'autre de la route nationale 209 a été à peu près complètement détruite 28 ».

Tomes les habitations bordant l'avenue Pétain depuis le chemin allant vers la passerelle pour piétons jusqu'au carrefour de la Poste (soit une distance de 500 m) étaient atteintes. Le centre de St Laurent était complètement détruit, 50 immeubles étaient effondrés. Un groupe scolaire (vraisemblablement celui du village), la mairie et la caserne de gendarmerie étaient partiellement démolis. Les gravas et les débris obstruaient la RN n°209. De plus, quatre incendies s'étaient déclarés dans les décombres. Sept personnes trouvèrent la mort au cours de ce bombardement. L'évacuation totale du village fut donc ordonnée.

Le 8 août, St Laurent subit son cinquième bombardement en huit jours. Vers 18 heures, une cinquantaine d'avions volant à 3000 mètres attaqua le Pont Chauve et le Pont du Var. Le lieutenant Escourrou rapporta que les travées externes du premier furent coupées. Mais, même si le pont avait été sérieusement détérioré, la travée centrale restait intacte, ce qui permettait toujours de franchir le fleuve en automobile. Des bombes tombèrent aussi sur un quartier évacué. Aucune victime ne fut à déplorer.

Les bombardements cessèrent pendant une semaine. Le 15 août, à une heure du matin, un avion lança une bombe éclairante sur le pont du Var qu'il mitrailla. Ensuite, St Laurent fut bombardé quasiment tous les jours, cinq jours d'affilée (les 15, 16,17,18,19) puis quatre jours de suite (25,26,27 et 28 août 1944).

Malheureusement, je n'ai pas pu trouver de documents concernant cette période. Les rapports officiels s'arrêtent juste avant et une partie de la presse est en trop mauvais état pour être consultée. Il y a donc un flou qui s'explique par les combats de libération. Les circonstances ont fait que la priorité a peut-être été donnée à l'action, et non à la rédaction de rapports.

Jérémy Thomas

En savoir plus? Voir le livre« Un Peu d’Histoire de Saint Laurent du Var » (Editions Sutton) pour commander cet ouvrage illustré et dédicacé de 22 € : téléphoner au 04 93 24 86 55

Un Peu d’Histoire… évoque quelques moments du passé tumultueux de Saint Laurent du Var. De l’Antiquité à nos jours ces 70 chroniques illustrées permettent un survol varié propre à éclairer l’histoire de la région bien au-delà de celle d’un simple village provençal placé à l’embouchure du Var.

Avant 1860, Saint-Laurent-du-Var était la première bourgade de France en Provence, carrefour historique avec le comté de Nice.

Aujourd’hui ville construite entre mer et collines, elle s'étire face à Nice le long de la rive droite du Var. Cité moderne, elle n'en oublie pas pour autant ses racines qui font la fierté de ses habitants. Le témoignage le plus probant de cette pérennité du passé reste sans aucun doute le Vieux-Village, avec ses rues pittoresques et son église romane.

Grâce à ces chroniques, Edmond Rossi nous entraîne à la découverte de l’Histoire passionnante de Saint-Laurent-du-Var.

Edmond Rossi est depuis son plus jeune âge passionné par l’histoire du Pays d’Azur.

Auteur de nombreux ouvrages, il présente régulièrement des chroniques historiques dans le quotidien Nice Matin et sur les ondes Radio France Bleu Azur.

 

Connaître le passé de la région des Alpes Maritimes ?

Cliquez sur http://pays-d-azur.hautetfort.com